Luar éditions

27 aoû. 2024
Luar éditions

© Marco Godinho
Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Les deux frères Marco et Fábio Godinho sont deux personnalités très en vue de la scène culturelle luxembourgeoise – la preuve en est que le premier a déjà eu droit à son interview et le second à son portrait sur Culture.lu. L’artiste plasticien et le théâtreux ont lancé, en famille – avec Keong-A Song, illustratrice et compagne de Marco – leur propre maison d’éditions, Luar. Une structure lancée discrètement il y a deux ans déjà, qu’ils comptent bien mettre sous les projecteurs lors de cette rentrée.

© Marco Godinho

La troisième sera donc la bonne ! Voilà plus de vingt ans – et deux tentatives avortées –, que Marco Godinho, artiste plasticien conceptualiste, avait envie de se lancer dans l’édition. Une envie née lors de ses études à l’école des Beaux-Arts de Nancy ,et surtout une nouvelle flèche à son arc artistique, que le natif de Salvaterra de Magos au Portugal voit comme un prolongement logique de ses autres activités culturelles.

« Dans mon travail, j’ai toujours fait beaucoup de livres » note le plasticien qui se penche habituellement dans son travail sur les notions d’errance, d’exil et de mémoire – et qui a, par ailleurs, porté haut les couleurs grand-ducales à la Biennale d’art de Venise en 2019. Ce que l’on sait moins à son sujet, c’est qu’il est également diplômé en graphisme et en typographie.

« J'ai toujours été très fasciné par le graphisme et la typographie, ça a toujours été quelque chose de très important pour moi » assure celui qui, par ailleurs, collectionne les bouquins, écrit et aime travailler sur les catalogues d’exposition.

Quand on regarde de plus près l’œuvre de cet artiste polymorphe, on constate rapidement que l’écriture, mais surtout que le livre sous toutes ses formes, a toujours fait partie de son projet, de son cheminement, de son fonctionnement artistique.

Rien d’étonnant du coup que, en 2015, déjà avec son frère Fábio, il ait lancé les éditions Bis. Il se souvient : « On a fait un premier livre, on l’a édité, mais ensuite on n'a pas continué dans ce sens… À l’époque, on n'a pas eu l'énergie pour poursuivre sur ce chemin, parce qu'on était tous les deux très pris par nos recherches et expérimentations artistiques respectives ».

Avec le temps, l’envie d’éditer n’est devenue que plus grande ; il est allé de même pour l’envie de travailler main dans la main avec ce frère auteur, comédien et metteur en scène ainsi qu’avec sa compagne Keong-A Song – auteure, entre autres du Monde nomade de Mr Godinho.

Une histoire de famille

Une histoire de famille donc qui fonctionne à merveille. On ne compte plus les collaborations entre les trois et surtout entre les deux frères : Fábio demande régulièrement à Marco de s’occuper de ses scénographies – celle de Sales gosses est tout particulièrement restée dans les mémoires – et Marco intègre régulièrement Fábio dans ses performances – Notes sur cette terre qui respire le feu, Left to Their Own Fate (Odyssey), Written by Water, Offrir quelques mots à la rive

C’est d’ailleurs à la suite de ce dernier projet, mis en place dans le cadre de la première édition du festival WaterWalls à Esch-sur-Sûre en 2021, que Luar a pris forme. Leurs projets artistiques respectifs étant désormais beaucoup plus profondément enracinés dans leurs pratiques respectives et dans le paysage culturel national que ce qu’ils pouvaient l’être en 2015, voilà que le projet de maison d’édition se concrétise enfin.

Dès que leur projet a été sélectionné pour le festival d’Esch-sur-Sûre – sur le barrage 5 pour l’exactitude –, les deux frères ont immédiatement tenu à inclure un texte et une publication sur cette performance dans le projet. « L’idée était de créer une plateforme, une sculpture scénographique dans l'espace de la nature et d’en faire une performance en venant l'habiter avec un texte » résume Marco.

Au clair de la lune

Offrir quelques mots à la rive sera donc le tout premier livre de leur nouvelle maison d’éditions, Luar ; un terme qui signifie clair de lune en portugais. « Une manière de rappeler nos origines avec néanmoins un "l" et un "u" en clin d’œil pour le Luxembourg » s’amusent les deux artistes résidant à Echternach ; une manière aussi, de rappeler certains parmi les questionnements usuels du travail des trois artistes : le temps, la nature, la nuit...

Une lune devenue depuis le logo de la maison d’édition – créé par Marco bien évidemment – et qu’on trouve dans ses différentes phases – nouvelle, pleine, au premier ou au dernier croissant – selon chacune des quatre collections imaginées pour Luar : littérature et poésie, théâtre, illustration et livres d’artistes. Les trois premières proposent des livres de taille identique ; la dernière se veut plus ouverte aux différentes propositions et laissera donc aux auteurs une plus grande liberté formelle.

« Les différentes phases de la lune reflètent l’idée que chaque livre contient une ambiance particulière qui fait partie intégrante du quotidien, à tout moment de la journée, même la nuit » notent les éditeurs dans la page de garde de leurs premiers livres. « L’idée derrière tout ça c’est que, finalement, ces livres font partie intégrante de notre respiration, de notre manière de vivre » souligne Marco.

Outre Offrir quelques mots à la rive de Fábio et Marco Godinho, deux autres ouvrages ont déjà vu le jour : De l’astre son limbe, un recueil de poèmes du galeriste Hervé Bize – galeriste avec qui Marco travaille depuis plus de vingt ans – et Erop/Un air perforé, texte dramatique bilingue de Romain Butti – par ailleurs porté à la scène lors de la saison 2021/22 dans une mise en scène de Fábio Godinho, avec une scénographie de Marco Godinho. Ce dernier livre affichant une couverture colorée avec des lettres en relief, tandis que De l’astre son limbe, comme tous les autres livres de la collection littérature et poésie, arbore une couverture blanche aux lettres noires.

On ne les trouve pas encore en librairie, mais ils sont disponibles directement auprès des éditeurs, pour ceux qui ont la chance de les connaître. Un quatrième livre, Le Couturier de M. Croco de Keong-A Song, devrait suivre tout prochainement. Il s’agira, alors, du tout premier de la collection dédiée à l’illustration.

Un rapport physique avec les livres

L’accès aux librairies du pays est une des prochaines étapes à franchir pour Luar, bien que les responsables affirment qu’ils ne comptent nullement concurrencer les maisons d’édition déjà existantes dans le pays ou essayer d’éditer des bestsellers. « Notre politique éditoriale est vraiment basée sur nos projets à nous et sur des projets proches de notre philosophie artistique ; des choses un peu à la marge ».

Et s’ils récusent l’adjectif « arty » pour parler de leurs livres, ils reconnaissent volontiers imaginer chacun de leurs livres comme une « expérience ». « Quand on achète un livre Luar, en fait, c'est toute une ambiance que tu prends entre les mains » insiste Marco.

Une expérience faite du texte, bien sûr, mais aussi de différents grands et minuscules détails qu’on retrouve dans chacune de ces publications. Il y a les illustrations – photos ou dessins –, les choix de lettrine, de mise en page, du grain du papier… mais aussi la couverture, la reliure…

Les créateurs de Luar ont tenu à donner un aspect à la fois fort et fragile à leurs livres avec une couverture qui peut aisément se retirer, laissant ainsi le livre nu – « Comme une peau qu’on retire ». Une mise à nu qui permet quelque part de découvrir l’envers du décor, voire les coulisses de cet œuvre-objet. « L’objet a clairement son importance », reprend l’ainé des Godinho qui ajoute : « on tient à créer un rapport physique entre les lecteurs et nos livres ».

Bref, chaque livre Luar sera une petite œuvre d’art, dans son fond et dans sa forme, tiré à 200 exemplaires seulement. Une œuvre au prix tout ce qu’il y a de plus accessible entre 15 et 25 euros. Dans la collection littérature et poésie, les 20 premiers exemplaires de chaque titre seront accompagnés d’un marque page original créé par les auteurs du livre en question. Un petit cadeau, une nouvelle petite œuvre d’art pour compléter l’expérience Luar.